mardi 14 août 2012

Un jardin extraordinaire au pays des barthes


A l’est de Bayonne, dans les barthes de l’Adour, la fille de Paul Haïm, marchand d’art et collectionneur disparu en 2006, a entrepris de perpétuer la mémoire de son père en préservant le jardin de sculptures qu’il a façonné sur les bords du fleuve, de l’autre côté d’Urt. Comment sauvegarder ce patrimoine unique? Le défi est d’autant plus délicat que le patrimoine en question relève du jardin secret …
Aristide Maillol - L'action enchaînée, 1906
A la fin des années 60, après une vie active de marchand d’art, Paul Haïm est devenu écrivain et propriétaire d’une ancienne ferme entourée d’un champ de maïs, à la frontière des Landes et du Pays Basque français. Là, il rédigea plusieurs livres de mémoires, des entretiens avec son ami l'artiste chilien Matta et des romans toujours inspirés par ses aventures dans le monde de l'art. Car derrière l’écrivain, sommeille toujours le collectionneur passionné qui va progressivement installer autour de sa propriété des œuvres que lui ont données certains de ses amis artistes ou qu’il leur a achetées. En quarante ans, Paul Haïm va ainsi faire de La Petite Escalère un jardin exceptionnel abritant sur 28 ha de forêt et de prairie une cinquantaine d'oeuvres d'artistes majeurs du xxème siècle : Antoine Bourdelle, Alexander Calder, Eduardo Chillida, Étienne-Martin, Fernand Léger, Aristide Maillol, Matta, Federica Matta, Joan Miró, Jorge Oteiza, Jean-Pierre Pourtier, Jean-Pierre Raynaud, Auguste Rodin, Niki de Saint Phalle, Zao Wou-ki,…
Ce jardin exceptionnel, Paul Haïm ne l’a pas fait seul. Il l’a réalisé avec son épouse, l’artiste peintre Jeannette Leroy, et Gilbert Carty, robuste jardinier landais infatigable. Après avoir été photographe de mode pour les magazines internationaux les plus prestigieux, Jeannette Leroy, en arrivant dans les Landes, est retournée à sa première vocation, le dessin et la peinture. C’est elle qui va donner au jardin de sculptures rassemblées par son mari une dimension supplémentaire, en faire un dialogue entre art et nature. Enfant du pays, Gilbert Carty a, lui, toujours vécu au rythme des humeurs de l’Adour, dans ce pays mi-eau, mi-terre que sont les barthes. C’est lui qui concrétise les idées de Paul et Jeannette, apportant opportunément sa connaissance du terrain.
Contrairement à d’autres parcs de sculptures, les oeuvres présentées à La Petite Escalère ne le sont pas dans un paysage tiré au cordeau. Elles sont souvent cachées, dans des lieux inattendus, au milieu d’une végétation luxuriante. Les découvrir se mérite. Il faut compter environ deux heures pour faire le tour de l’ensemble des œuvres exposées.
Fernand Léger - Femmes au perroquet, 1952
Las, depuis la disparition de Paul Haïm, Jeannette Leroy et Dominique Haïm sont confrontées à la préservation de ces œuvres dont plusieurs ont besoin d’être restaurées. Si les intempéries ne menacent pas trop les statues en bronze, elles sont par contre calamiteuses pour les mosaïques. Une mission d'expertise sur l'état sanitaire des oeuvres et des préconisations de restauration est en cours avec la DRAC Aquitaine et l'Ecole des Beaux-Arts de Tours. Elle doit permettre de mettre en place un programme de restauration de la collection.
Parce que le lieu est difficilement accessible, il est aujourd’hui inimaginable de l’ouvrir au public en permanence. Les ressources nécessaires à son entretien sont donc à rechercher par ailleurs. Une première piste envisagée par Dominique Haïm est de faire du jardin de son père un espace de réflexion, d'inspiration et d'échange autour de l'art, du paysage et de la nature. Une première étape  a consisté à cibler les publics prioritaires susceptibles d’être interpelés par le jardin : écoles d'art, de paysagisme, d'horticulture, artistes, créateurs, chercheurs, etc … (1). Soutenu par le ministère de la Culture et de la communication, un programme de résidences a, de son côté, pour vocation d'offrir à des écrivains, des plasticiens, des paysagistes, des architectes, des  historiens de l'art, des cinéastes, des musiciens, etc ..., une parenthèse d'inspiration et de réflexion dans un environnement propice à la recherche et à la création. Dominique Haïm place beaucoup d’espoir dans ces résidences d’artistees. Elle espère qu’elles permettront de valoriser le patrimoine naturel et culturel du lieu, qu’elles favoriseront et soutiendront la création artistique contemporaine régionale, nationale et internationale.
L’organisation d’expositions temporaires doit enfin permettre à La Petite Escalère  de s’ouvrir sur l’extérieur et de trouver une partie des ressources recherchées. En exposant chaque année, entre mai et octobre, les sculptures d'une grande figure de l'art moderne ou en invitant un créateur contemporain à installer une ou plusieurs œuvres dans le jardin, La Petite Escalère espère mettre en place un dialogue entre le jardin, son paysage, sa collection, et d'autres œuvres, construire des ponts entre le passé et l'avenir, permettre une relecture de sa collection, ouvrir enfin de nouvelles pistes de compréhension et de réflexion autour de la sculpture2.

Pour affronter tous ces défis et acheter de nouvelles œuvres appelées à enrichir le jardin, l'association Les Amis de La Petite Escalère a été créée en mars 2011. Cette association a pour vocation de fédérer les soutiens publics et privés, de lever des fonds et de développer des partenariats. Elle compte déjà une centaine de membres, parmi lesquels Marie-Laure Bernadac, conservateur général, chargée de l'art contemporain au musée du Louvre, Jean Glavany, ancien ministre, député des Hautes-Pyrénées, Ivan Levaï, journaliste, écrivain, Federica Matta, artiste plasticienne, Isabelle Mir, championne olympique de ski, etc …

Hériter d’un trésor n’est pas une mince affaire.

(1)   La Petite Escalère est également ouverte sur rendez-vous pour des groupes de dix à quinze personnes dans le cadre de visites payantes guidées (de mai à octobre)
(2)   Les 15 et 16 septembre prochains auront lieu des journées portes-ouvertes autour de l’œuvre de Cristina Iglesias. Pour tout renseignement : contact@lpe-jardin.org ou par téléphone : 06 32 52 91 01

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